Le temps d'un automne
Il est aux environs de 16h30 sur la ligne d'arrivée où semble souffler un vent nouveau mêlé à quelques troubles du passé. Sur cette ligne d'arrivée, à Grammont, Paris-Tours a écrit les plus belles pages de son histoire. À Grammont, Paris-Tours est passé par toutes les émotions. Grammont, une avenue, un nom, Grammont où une dernière fois, le temps d'un automne, la classique des feuilles mortes couronnera son roi.
Avant de se séparer de sa célèbre ligne d'arrivée, la faute au tramway, Paris-Tours s'est couru en TGV. Vent dans le dos, 48km/h les deux premières heures de course, cette année, ça n'a pas trainé. Pourtant, on avait le temps. La région Centre avait revêtu pour l'occasion un de ses plus beau ciel. Azur, privé d'arc-en-ciel, faute d'invitation le champion du monde avait dû rester à la maison. Pourtant, c'est non sans grands noms qu'à Grammont, se joue le sacre d'un champion. Philippe Gilbert est là, passant par delà les chemins habillés de feuilles mortes, à la recherche d'une énième victoire. Hélas, bien que favori, on entendra peu parler du belge. Discret, il sort à peine le nez des arbres jadis feuillus mais en cette saison déshabillés. Feuillu où l'histoire d'une victoire attendue. Hélas, c'est un autre français qui fait parler de lui.
Geoffroy Lequatre met le nez à la fenêtre, sent l'ouverture et sort du buisson. Le temps d'un automne, telle une feuille morte pourtant bien vivante, Lequatre s'envole. Il reste alors une vingtaine de kilomètres à parcourir et l'enchainement de côtes finales. Le coup était bien senti, fini la fugue des matinaux (Jorgensen, T. Meyer, Krivtsov, Geschke, Pichon, Flecha, Saromotins, Maes), la course est belle est bien lancée, reste à savoir qui va l'emporter. Et lorsque l'on dépasse Alain Gallopin une fois franchie la ligne d'arrivée, on comprend bien que le coup prémédité aurait pu fonctionner. Le français de la Radioshack aura tout donné suivant à la lettre les consignes du directeur sportif. Il aura eu le mérite de relancer tel un damné à chaque fois que la route s'élevait, en vain. Vain l'effort, arrive une feuille morte. Dépassé, Lequatre ne peut qu'abdiquer.
Il ne lui restait pourtant plus que quelques centaines de mètres. Courageux, rempli d'abnégation, il se voit dépassé par quelques furieux, bien désireux d'en découdre par un sprint dont on avait perdu l'habitude à Tours. Cette fois-ci, on y aura le droit, l'avenue de Grammont était bien trop longue pour un homme seul, vent de face. Le temps d'une longue ligne droite, on se met à rêver à un beau vainqueur, un héros de l'automne avant de laisser passer l'hiver. Pettachi, Freire, Steegmans, trois hommes pour un fauteuil. L'espagnol de 34 ans est une nouvelle fois le plus rapide. À Tours, il déborde sans concessions ses adversaires. A en voir le visage de Gert Steegmans rejoignant le pullman de la Radioshack, le sprint n'était pas à son goût. Honnêtement, on se demande s'il n'a pas raison.
À l'approche du dénouement, il y aura eu des acclamations pour un garçon plein de panache, Lequatre. Il y aura eu un des tonnerres d'applaudissement lorsque Romain Feuillu pointa le bout de son nez. Puis l'ambiance est retombée. Comme si le peuple n'en avait qu'assez, las, de ces dénouements classiques. L'avenue de Grammont vivait là sa dernière. Nous, nous reviendrons. Jamais nous ne perdrons cette passion pour la petite reine. Mais à dire vrai, si ce papier ne s'est pas terminé quelques lignes plus tôt c'est qu'il y a quelque chose qui me chagrine. Je parle en mon nom propre. Aujourd'hui, il y avait énormément de monde aux abords de la ligne d'arrivée, énormément de jeunes passionnés qui voulaient bien encore croire en leur sport. Pourtant, à dire vrai, il y avait comme une envie de les prévenir, de leur dire de ne pas s'inquiéter si au cas où…
Ce papier aurait pu se terminer quelques lignes plus tôt si, il y a une semaine, Oscar Freire ne s'était pas plaint d'une possible coalition anti Espagne sur les routes australiennes. Car aujourd'hui, il y avait comme un malaise. Comme un sentiment de lassitude générale. Ce n'est pas que l'on aurait aimé voir un audacieux, Lequatre, l'emporter. C'est juste que, peut-être, pour sa dernière, l'Avenue de Grammont méritait mieux. S'il y a eu du suspens, tant mieux mais on aurait tant aimé autre chose. Ainsi va la vie, après tout, il ne s'agit que d'un jeu. Si seulement d'autres pouvaient l'entendre. Ainsi va la course, et même si ce n'est qu'un jeu, nous aimons l'adorer avec passion.
Le temps d'un automne, Grammont nous aura donné un peu de joie. Tombent les feuilles mortes, en attendant de voir un cyclisme plus printanier raviver une flamme, par certains, grandement mise en danger...
Simon Bernard